Le taux de pérennité, lorsqu’on reprend un commerce existant, est de 73 % à trois ans. Il est donc bien supérieur à celui d’une création. Certes, les contraintes ne sont pas neutres : reprendre une affaire signifie reprendre les contrats, mais aussi les salariés, réaliser un audit… Le tout peut durer trois à quatre mois. En revanche, pour se lancer, une reprise permet d’être immédiatement opérationnel, avec, surtout, un chiffre d’affaire minimum a priori assuré puisque l’affaire tourne.
Pour résumer, le business model d’un commerce se résume à deux concepts clés : savoir bien acheter et s’assurer de la qualité de l’emplacement.
Pour sélectionner la bonne affaire, les premières choses à étudier sont
l’emplacement et le droit au bail.
« L’emplacement, l’emplacement, l’emplacement ». Attention, dans une rue commerçante, le fait qu’un emplacement soit bon ou pas peut se jouer à quelques mètres près. Et une boutique qui sera parfaite pour une boulangerie ne conviendra pas obligatoirement pour un espace de jeux video.
On ne peut que recommander de faire comme
Charles-Henri Hayaud, ancien banquier qui a repris une fromagerie, qui témoignait lors de cette conférence :
« Il faut y aller soi-même, à plusieurs moments de la journée. Pour ma part, je me suis posté en face de la boutique, en comptant le nombre de personnes qui passaient devant, le nombre de personnes qui rentraient, et, parmi elles, celles qui ressortaient avec un achat. Cela m’a servi pour étayer mon business plan avec des hypothèses réalistes, et aussi pour convaincre les banquiers que j’étais un homme pragmatique et de terrain. »
Quant au bail, soit l’on rachète un fonds de commerce, incluant le bail, soit l’on crée une société qui va racheter le droit au bail. Deux précautions sont à prendre :
bien étudier la différence entre le loyer appliqué et la valeur locative. En effet, il faut savoir que
le bailleur peut, à la fin du bail, déplafonner le loyer. La plus grande prudence s’impose donc s’il reste peu d’années avant la fin du bail. Par ailleurs,
le montant du loyer ne doit a priori pas dépasser 15 % du montant du chiffre d’affaires, c’est ce qu’on appelle le taux d’effort.
De plus, il est indispensable de vérifier la conformité du commerce par rapport aux normes en vigueur selon l’activité que l’on souhaite exercer et si des travaux d’aménagement sont à prévoir.
Pour Pascal Ferron, vice-président de Walter France :
« Il n’y a pas de bonne affaire, il y a un bon projet et surtout un bon repreneur. Faire une bonne affaire se voit a posteriori quand on a été capable de faire beaucoup mieux que le précédent. Le repreneur doit se poser la question de savoir comment il peut développer son commerce, l’emmener plus haut. »
Après avoir repéré un commerce intéressant, le repreneur devra bien évidemment se faire aider pour faire une analyse plus approfondie :
étudier les bilans, l’évolution du chiffre d’affaires depuis plusieurs années. Les chiffres ne veulent rien dire en eux-mêmes, il faut savoir corroborer les différentes informations. Quelle est la marge, comment évolue-t-elle ? Quel est le seuil de rentabilité ? Dans tous les cas, pour rembourser son prêt et se rémunérer, le repreneur devra faire mieux que son prédécesseur.
Il faut savoir également que lorsqu’on rachète les parts d’une société, on achète tout ce qui va avec, y compris les passifs. Dans ce cas, il est indispensable de réaliser un audit car attention, ce n’est pas parce que c’est « petit » que ce n’est pas risqué. A priori, pour un commerce, il est préférable de racheter le fonds de commerce.
Concernant
l’évaluation proprement dite, la meilleure technique est d’identifier combien l’affaire va rapporter. Plus elle rapporte aujourd’hui, plus elle vaut cher ! Pascal Ferron (Walter France) conseille de ne pas faire de surenchère ; les moyens existent, notamment des statistiques par type d’activité disponibles auprès des fédérations professionnelles, ou pour telle zone de chalandise. Consulter les petites annonces dans le Bodacc permet également de se faire une idée du prix juste.
Anne-Cécile Lemaire, avocate chez HB & Associés, recommande
d’étudier très attentivement les contrats.
Les contrats de travail d’abord, puisque ceux-ci sont automatiquement transmis lors d’un rachat de fonds de commerce. Et attention à ne pas prendre de risques inconsidérés, comme par exemple négocier avec le cédant le fait qu’il « fasse partir » certains salariés avant la cession. En cas de recours aux prud’hommes, les salariés gagnent à tous les coups car cette pratique est considérée comme une fraude au droit du travail.
Tous les contrats liés à l’activité devront être étudiés avec attention, tels le
s contrats d’assurance, les contrats de propriété intellectuelle, les contrats de travail… Et bien évidemment
le contrat de bail, dont de nombreux repreneurs ignorent les contraintes. Outre les risques de déplafonnement du prix évoqués plus haut, il faut savoir que le commerçant ne peut résilier son bail que tous les trois ans. Si l’activité ne tient pas ses promesses et que le commerçant veut arrêter au bout de six mois, les deux ans et demi restants risquent de lui paraître bien longs car quoi qu’il fasse, il devra payer son loyer et les charges et accessoires au bailleur jusqu’à l’échéance des trois ans. Généralement, lorsque l’on emprunte, on engage sa caution solidaire sur ses propres biens ; les conséquences financières personnelles peuvent être catastrophiques.
Bien évidemment,
se faire conseiller par un expert-comptable et un avocat spécialisés est plus que fortement recommandé dans cette étape d’analyse.
Comment financer sa reprise ? Dans le cas d’un commerce, il est très difficile d’établir un prévisionnel car le chiffre d’affaires est réalisé au jour le jour, selon les ventes de la journée «
et le carnet de commande se voit plutôt dans le rétroviseur » ajoute Pascal Ferron (Walter France). Le business plan devra en conséquence être présenté plutôt comme un objectif à atteindre. Le repreneur doit financer le rachat du fonds de commerce, les investissements (travaux, etc.) et le besoin en fonds de roulement pour payer les stocks de début d’activité.
Selon Pascal Ferron, le repreneur devra argumenter devant les banquiers de la manière suivante :
« Il me faut tant de chiffre d’affaires pour atteindre telle marge, voilà comment je vais m’y prendre ». Plus le repreneur sera crédible, plus il aura de chances d’obtenir un financement.
Un prêt se contracte généralement sur 7 ans. Le « nombre d’or » est 1/3 d’apport pour 2/3 d’emprunt. Mais un banquier peut exiger 50 % de fonds propres, tout comme il peut, à l’inverse, accepter moins de 30 % d’apports si le dossier est solide et convaincant.
Au-delà des prêts bancaires, le repreneur pourra solliciter Bpifrance, le réseau Entreprendre, les différents organismes qui proposent des prêts d’honneur…
Attention enfin à toujours, systématiquement, solliciter plusieurs banques simultanément, trois, quatre, cinq banques, même si votre banquier vous assure « q
ue cela ne devrait pas poser de problème ». D’abord parce qu’on multiplie ainsi les chances d’obtenir un financement, et aussi parce que cela justifie des efforts fournis pour trouver ledit financement. En effet, l’obtention du prêt est toujours une condition suspensive dans la promesse d’acquisition. Il est déjà arrivé qu’un cédant poursuive un repreneur et lui demande des dommages et intérêts, sous prétexte que celui-ci n’avait pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir son financement. Prudence, prudence, donc.
Pascal Ferron (Walter France) affirme :
« Trouver de l’argent est difficile, mais, pour un bon projet, toujours possible. » Attention aux recours aux courtiers :
c’est le repreneur en personne que le conseiller bancaire veut voir. Le banquier est un commercial ; les projets entrepreneuriaux doivent correspondre à ce qu’il veut entendre.
Charles-Henri Hayaud (Fromagerie Hayaud) a obtenu son prêt selon les fonds propres qu’il avait prévus pour le rachat de sa fromagerie. Et
un prêt d’honneur lui a permis de financer le besoin en fonds de roulement.
Bien évidemment, seul un avocat spécialisé pourra le rédiger. Anne-Cécile Lemaire (HB & Associés) attire l’attention sur la mention relative à l
’état des inscriptions, c’est-à-dire l’état des privilèges et nantissements. En clair, l’Urssaf, le Trésor public, les banques ou tout autre créancier peuvent réclamer des sommes d’argent après la reprise, car ces « inscriptions » suivent le fonds de commerce en cas de changement de société titulaire.
Autre point :
le droit de préemption de la mairie, et du bailleur devront être purgés, y compris
le droit de préemption des salariés.
Enfin,
les droits d’enregistrement, qui représentent 3 % du montant de la vente (avec une franchise de 23 000 euros) jusqu’à 200 000 euros et 5% au-delà de 200 000 euros doivent être réglés dans les trente jours de la cession. Il s’agira de prévoir ce montant dans les besoins de financement.
Pascal Ferron (Walter France) conclut :
« Le marché est favorable aux repreneurs, puisque le nombre de commerces à vendre est bien plus élevé que le nombre de repreneurs potentiels. Cela n’empêche pas d’étudier avec soin les dossiers, d’évaluer sur le terrain le chiffre d’affaires réalisable, en se faisant accompagner par des conseils experts dans ce domaine tout au long du processus de reprise. »
NB : Vous pouvez écouter cette conférence, en cliquant sur l’icone podcast sur ce lien :
https://www.salondesentrepreneurs.com/paris/conferences/reprendre-un-commerce-ou-une-affaire-artisanale-mode-d-emploi-9268