Lorsque l’on se met en quête d’un fonds à acquérir, on ne doit pas négliger l’aspect sentimental qui lie le commerçant à son affaire : “L’acte de reprise est un compromis entre le cédant qui vend son passé et le repreneur qui achète son avenir, résume Bran Billand-Pellet de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. On ne peut pas arriver et demander abruptement : combien ça coûte ?” On peut même parler d’intrusion dans son existence lorsque l’on convoite son bien : “Il s’est énormément impliqué dans son commerce, rappelle-t-il. Lors de votre premier échange, n’oubliez pas que vous violez un peu son intimité.”
Pour beaucoup, la cession de leur fonds s’apparente à une petite mort. De nombreuses reprises échouent à cause d’une incompréhension de la psychologie du cédant. Ce dernier a souvent passé plusieurs dizaines d’années de sa vie à mettre en place et développer un outil de travail qui fait vivre toute sa famille et des salariés. Il ne vend pas un fonds immobilier, mais plutôt une partie de lui-même : “Pour certains, le passage du statut d’hyperactif à celui de non-actif est vécu comme une véritable angoisse, ajoute-t-il. Seuls 20 % des cédants ont préparé un projet de vie de retraité.”
Réduire l’opération de reprise à une simple transaction financière est une erreur. Même s’ils entendent bien réaliser une plus-value lors de la vente, rares sont les commerçants qui se désintéressent de l’avenir de leur boutique : « Le cédant a le respect de la clientèle qu’il laisse au repreneur et de la qualité du service rendu, poursuit-il. Il veut donc savoir s’il est en pourparlers avec un candidat sérieux.” La présentation revêt un caractère essentiel : “La première impression est toujours la bonne, certifie Bran Billand-Pellet. On est là dans une affaire d’hommes.” Le repreneur doit séduire le cédant potentiel : “Votre motivation doit transpirer. Il doit sentir que c’est son commerce et pas un autre que vous voulez, insiste Patrick Remy, manager du centre-ville d’Aulnay. Même si c’est le cas, il est maladroit de lui dire que vous hésitez avec un autre projet.”
Il faut faire preuve de modestie et surtout éviter l’arrogance. Bien que déjà propriétaire de cinq boucheries, Philippe Dupont n’en a pas moins posé les questions élémentaires à Michel Rajaud lors de leur première rencontre : “Je l’ai interrogé sur son fonctionnement alors que je connaissais les réponses, reconnaît-il. C’était par convenance, mais aussi par humilité car on a toujours à apprendre d’un bon commerçant.”
Mais pour comprendre le cédant, encore faut-il parler le même langage : “Pour que l’acquéreur soit crédible, il doit posséder le vocabulaire d’un vrai professionnel, être capable de poser des questions ou y répondre, prévient Patrick Remy. Le cédant doit avoir la conviction que vous possédez le métier que vous prétendez exercer. Il faut qu’il vous reconnaisse comme un véritable entrepreneur désireux de passer sa vie dans la boutique qu’il va vous vendre.”
Mais comprendre la psychologie du cédant ne doit pas être motivé par le seul but de le séduire. C’est en saisissant son fonctionnement, tant avec ses clients qu’avec ses fournisseurs, que vous jetterez les bases de votre propre réussite. Trop de repreneurs oublient très vite qu’en rachetant un fonds, ils ont acquis une clientèle et que celle-ci constitue le socle sur lequel ils doivent s’appuyer pour asseoir leur pérennité. “L’essentiel est de saisir comment le business s’est constitué, comment le commerçant en est arrivé là, quel est son environnement de proximité », énumère Bran Billand-Pellet.
Il est de plus en plus fréquent que le cédant et le repreneur s’entendent afin que la transition se déroule en douceur. Beaucoup de commerçants sont désireux d’accompagner leurs successeurs. « Dans de nombreuses reprises, ils considèrent l’accompagnement comme un devoir, une obligation morale. J’ai constaté qu’ils s’impliquent pour rassurer leurs habitués et sécuriser, pour le monde extérieur, la perpétuation de la qualité et du savoir-faire de la maison”, note le conseiller de la CCIP. L’intérêt pour le repreneur est double. Il pourra ainsi mieux connaître le fonctionnement de l’entreprise, tout en se faisant accepter par les clients fidèles.